FICHE SERVICE : EFFET DES COUVERTS SUR LE CYCLE DU PHOSPHORE

Il existe des attentes assez fortes quant au phosphore. Cependant les effets des couverts sont plus complexes que sur l’azote. Bien qu’il soit avéré que les couverts permettent de limiter le ruissellement, l’érosion et donc les pertes de P, ils n’ont pas encore démontré d’effet net sur la disponibilité en contexte tempéré.

CONTEXTE

Autant l’effet des couverts sur le cycle de l’azote est relativement bien connu et documenté, autant les sujets liés aux autres éléments minéraux sont restés peu ou pas traités. Cela peut s’expliquer par la différence d’enjeux autour de ces questions, la complexité des phénomènes et des mécanismes liés à la perte et à la disponibilité des autres éléments ou l’état des connaissances générales sur ces sujets.

Parmi ceux-ci, le phosphore est un élément important pour le fonctionnement des plantes et dont la ressource est, par ailleurs, limitée et non renouvelable. Dans ce contexte, il apparait crucial de favoriser les pratiques qui permettent de conserver et mobiliser le phosphore présent dans le stock, parfois important, de la parcelle.

QUELQUES RAPPELS SUR LE PHOSPHORE DANS LE SOL

Cycle du Phosphore et ordres de grandeur

Cycle du Phosphore et ordre de grandeur et mécanismes - Retranscrit d'après [Morel et al. 2018](https://www.researchgate.net/publication/322500341_Cycle_biogeochimique_du_phosphore_dans_les_agroecosystemes){target='_blank'} en kilo de P par hectare

Figure 1: Cycle du Phosphore et ordre de grandeur et mécanismes - Retranscrit d’après Morel et al. 2018 en kilo de P par hectare

Le cycle du P diffère énormément de celui des autres éléments comme l’Azote, le Soufre ou le Potassium. En effet celui-ci se caractérise par la quasi absence de lixiviation dans le contexte tempéré, d’un stock important sous forme minéral plus ou moins phytodisponibles (disponible pour la plante). Les prélèvements par les plantes et les exportations sont faibles en comparaison. Le P qui compose ce stock est présent sous diverses formes, minérales ou organique (phytate)), associés aux constituants du sol (carbonate de calcium, matières organiques, hydroxydes de fer et d’aluminium, feuillets d’argile). Le P est lié de manière plus ou moins forte aux constituants du sol, ce qui influence sa phytodisponibilité.

La solution du sol ne contient à un instant t que 1% des besoins de la culture principalement sous la forme d’ions phosphate dont la forme varie avec le pH. La concentration en phosphate de la solution du sol est en équilibre avec les quantités de P stockés dans les constituants du sol qui jouent le rôle de tampon. Lorsque la concentration en P de la solution du sol baisse dû à la mobilisation par les racines, celle-ci est réalimentée par des ions P qui se solubilisent. Ainsi la nutrition des plantes dépend de la vitesse de réalimentation de la solution du sol par la phase solide plus que de la quantité de P soluble à un instant t.

EFFET DES CULTURES INTERMEDIAIRES SUR LE PHOSPHORE

La plupart des références identifiées ont été produites dans des contextes de disponibilité faible en P (sols fertilialitiques) ou historique récent d’apports.

Représentation des processus liés à l'effet des cultures intermédiaires sur le P

Figure 2: Représentation des processus liés à l’effet des cultures intermédiaires sur le P

Limitation des pertes

Les pertes de P peuvent être sous deux formes : dissoute ou particulaire. D’après Ulen (1997), les pertes de P sont à 75 % sous la forme particulaire. Les couverts sont décrits comme particulièrement efficaces pour réduire les pertes sous forme de P particulaire ( Aronsson et al. 2016, Kleinman et al. 2005) ). Une réduction de 40 % des pertes de P particulaire sous couvert encore vivant a été mesurée dans ces essais. Ce type de perte est lié à l’érosion (perte du P contenu dans les particules de sol érodées).

Les couverts permettent de limiter les phénomènes de battances et d’érosion. Plus de détails dans la fiche dédiée à ce service : Limiter l’érosion grâce aux couverts

Les couverts agissent sur l’érosion de trois manières :
(@) ils limitent le ruissellement Kleinman et al. 2005) en augmentant la vitesse d’infiltration de l’eau AREAS, 2005. Dans le cadre d’un essai sur l’effet des couverts et la structure du sol (Synthèse ici), il a pu être mis en évidence un effet des couverts sur la vitesse d’infiltration du sol sous l’horizon labouré.

Vitesse d'infiltration à l'eau (Source : Essai cultures intermédiaires et structure du sol conduits à Attichy (60) en 2017 et 2018)

Figure 3: Vitesse d’infiltration à l’eau (Source : Essai cultures intermédiaires et structure du sol conduits à Attichy (60) en 2017 et 2018)

  1. ils protègent le sol de la pluie et lui permettent de conserver sa rugosité qui freine l’eau à la surface du sol et limite l’érosivité AREAS, 2005
  2. ils limitent l’érosivité de la pluie et retiennent le sol.

Ainsi des essais conduits en Normandie par l’AREAS ont mesuré une réduction de 95 % de l’érosion en présence de couverts AREAS, 2005.

Lorsque le couvert est vivant on observe peu d’effet sur le P dissous. Lorsqu’il est détruit il tend à augmenter les concentrations de P dissous dans les eaux de ruissellement. Cet effet est lié à la libération du P par les résidus du couvert. Le phénomène est favorisé par des épisodes de gel important (-18°C) (Liu et al., 2013) mais parait limité dans le contexte français avec un gel modéré (-5 °C) d’après Lozier et al. (2017)

Des capacités d’absorption différentes

Bon nombre d’études ont évalué les capacités d’absorption des différentes espèces en mesurant la teneur en P par unité de biomasse produite ( Wending et al. 2016 ; Soltangheisi et al., 2018 ; Cavilgelli et Thien 2003., Pavinato et al. 2017). Parmi les espèces les plus mobilisatrices sont situées le lupin, la phacélie et le radis fourrager. Minette et al. 2009 ont regroupé dans la méthode MERCI des données par espèces teneurs en P des parties aériennes :

D’après Wending et al. 2016, la propension de certaines espèces de cultures intermédiaires à accumuler le P dans leurs tissus est liée à des caractéristiques racinaires telles que la surface racinaire et la longueur de racine par unité de biomasse. En effet le phosphore est un élément peu mobile dans le sol. Un maillage de racines important est ainsi nécessaire pour absorber efficacement le phosphore. Aussi des auteurs comme Hallama Met al. 2018 mettent en avant le rôle des interactions plantes-organismes du sol comme les mycorhizes qui jouent en quelque sorte le rôle d’extension du système racinaire.

Comme évoqué précédemment, le Phosphore du sol est stocké sous différentes formes plus ou moins liées aux constituants du sol qui se solublisent pour alimenter la solution du sol et in fine les plantes. Les processus en jeux peuvent être influencés par les plantes via des mécanismes :
- purement chimiques (libération d’ions H+ au voisinage des racines pour acidifier et libérer une partie du P lié au Ca ou production de carboxylates). White et Weil 2010 démontrent ainsi que la disponibilité en phosphore est améliorée au voisinage immédiat du pivot de radis utilisé en couvert.
- ou biologiques via la production d’enzymes par la plante ou les micro-organismes de la rhyzosphère permettant d’extraire le P lié aux constituants du sol (minéraux ou matières organiques). Ex : Phosphatase, phytase

Selon les espèces de CI, elles ne vont pas utiliser les mêmes sources de P. Pour certains auteurs ( Hallama Met al. 2018), il est important de choisir des cultures intermédiaires qui ont des stratégies d’acquisition différentes.

Même si certaines espèces ont des teneurs en P de leurs tissus supérieures. Il est important de rappeler l’autre composante de l’absorption totale par la plante : la biomasse produite. En effet même si des concentrations très différentes sont observées (+/- 50%), la productivité du couvert influence en grande partie la quantité de phosphore absorbé par la plante ( Wending et al. 2016). Ainsi utiliser des espèces ou des itinéraires techniques qui favorisent la productivité générale du couvert (semis précoce d’espèces à développement important) permet d’augmenter la mobilisation du P même si les espèces choisies ne sont pas les plus accumulatrices.

Décomposition des résidus de cultures intermédiaires

Comme pour l’ azote, la dynamique de restitution du Phosphore est dépendante de sa teneur dans la plante. Pour les auteurs ( Cavilgelli et al. (2003), Shomberg et al. (1999) ), la teneur seuil au delà de laquelle on observe une minéralisation nette est de 0,2 g de P par kg de matière sèche. Dans la plupart des publications ( Hallama Met al. 2018), le phosphore des couverts est restitué rapidement et en proportion importante. Entre 70 et 80% du P total est minéralisé en six mois.
Libération du P par les résidus du couverts d'après [Cavilgelli et al. (2003)](https://www.researchgate.net/publication/44285725_Phosphorus_Bioavailability_following_Incorporation_of_Green_Manure_Crops){target='_blank'}

Figure 4: Libération du P par les résidus du couverts d’après Cavilgelli et al. (2003)

La libération du P commence dès la destruction du couvert et est amplifiée par des alternances de gel-dégel de forte amplitude (-18°C à +4°C pour Cober et al. 2018).

Aussi d’après certains auteurs ( Cavilgelli et Thien 2003), la décomposition du couverts entraîne la production de composés organiques qui tendent à limiter le pouvoir fixateur du sol (amélioration de l’efficacité des engrais phosphatés pour Eichler-Lobermann et al. 2008 et limitation de l’adsorption par le sol du phosphore libéré lors de la décomposition du couvert)

Absorption de la culture suivante

Améliorer la nutrition de la culture suivante représente le service des couverts principalement recherché vis-à-vis du phosphore dans la mesure où les pertes sont relativement limitées dans la plupart des situations. De plus le P est parmi les éléments les plus limitants pour la croissance des cultures pour une partie des agricultures de la planète. L’effet des couverts sur la disponibilité en phosphore pour la culture suivante a été étudié dans différents contextes où le plus souvent il est limitant pour des raisons pédologiques ou économiques. Dans la plupart des références identifiées il n’y a peu ou pas d’effet des couverts sur l’absorption du P de la culture suivante dans un contexte large de situations :

Synthèse des références disponibles sur l'effet des couverts sur l'absorption du phosphore par la culture suivante

Figure 5: Synthèse des références disponibles sur l’effet des couverts sur l’absorption du phosphore par la culture suivante

Le Lupin est l’espèce qui est la plus souvent citée comme bénéfique à la culture suivante. Les auteurs mettent en avant sa capacité à mobiliser du phosphore stocké sous des formes difficilement disponibles pour les cultures suivantes. La phacélie est l’autre espèce régulièrement mise en avant. D’après Hallama et al. 2018, l’effet des couverts sur l’absorption en P de la culture suivante est d’autant plus significatif que la disponibilité est faible.

Effet des couverts sur la disponibilité en phosphore selon la richesse en P de la parcelle - Compilation d'essai - [Hallama et al. 2018](https://www.researchgate.net/publication/328562230_Hidden_miners_-_the_roles_of_cover_crops_and_soil_microorganisms_in_phosphorus_cycling_through_agroecosystems){target='_blank'}

Figure 6: Effet des couverts sur la disponibilité en phosphore selon la richesse en P de la parcelle - Compilation d’essai - Hallama et al. 2018

Ainsi dans nos régions, sauf dans en situations exceptionnelles (contexte pédologique avec sol à fort pouvoir fixateur), peu d’effets sont à attendre des couverts sur la disponibilité en P à court terme notamment en comparaison de l’effet d’une fertilisation organique ou minérale.

A vos claviers !

TRAVAUX CITES

AREAS, 2005. Synthèse des résultats de ruissellement et d’érosion, http://www.areas-asso.fr/images/resultats%20essais%20simul/brochure_10ans_essais_PC_ruissellement.pdf
Aronsson et al. 2016. The ability of cover crops to reduce nitrogen and phosphorus losses from arable land in southern Scandinavia and Finland. Journal of Soil and Water Conservation
Braum S., Helmke P., 1994. White Lupin utilizes soil phosphorus that is unavailable to soybean. Plant & Soil 76. p 95-100
Carver R., Nelson N., Abel D., Roozeboom K., 2017. Impact of cover crops and phosphorus fertilizer management on nutrient cycling in no tillage corn soybean rotation
Cavilgelli M., Thien S.,2003. Phosphorus Bioavailability following Incorporation of Green Manure Crops, Soil Science Society of America Journal 67(4)
CoberJ., Macrae M., Van Eerd L., 2018. Nutrient Release from Living and Terminated Cover Crops Under Variable Freeze–Thaw Cycles. Agronomy journal 110(3).
Eichler-Lobermann B., Köhne S., Kowalski B., Schnug E., 2008. Effect of Catch Cropping on Phosphorus Bioavailability in Comparison to Organic and Inorganic Fertilizatio. Journal of Plant Nutrition (31), p 659-676
Hallama M., Pekrun C., Lambers H., Kandeler E., 2018. Hidden miners – the roles of cover crops and soil microorganisms in phosphorus cycling through agroecosystems. Plant Soil.
Kamh H., Horst W., Amer F., Mostafa H., Maier P., 1999. Mobilization of soil and fertilizer phosphate by cover crops. Plant and soil 211. p19-27
Kleinman et al. 2005. Effect of cover crops established at time of corn planting on phosphorus runoff from soils before and after dairy manure application. Journal of Soil and Water Conservation
Kuo S., Huang B., Bembenek R., 2005. Effects of long-term phosphorus fertilization and wnter cover croppping on soil phosphorus transformations in less weathered soil. Biology and Fertility of Soils (41), p116-123
LozierT., Macrae M., Brunke R., Van Eerd L., 2017, Release of phosphorus from crop residue and cover crops over the non-growing season in a cool temperate region. Agricultural Water Management 189, p39-51
Liu J., Khalaf R., Ulen B., Bergvist G., 2013. Potential phosphorus release from catch crop shoots and roots after freezing-thawing. Plant and Soil 371)
Morel C., Denoroy P., Mollier A., Pellerin S., Sinaj S., Ziadi N. Cycles biogéochimiques des éléments nécessaires à la production agricole, Guide de la fertilisation raisonnée (2ème édition)
Pavinato P., Rodrigues M., Soltangheisi A., Sator L., WithersP., 2017. Effects of Cover Crops and Phosphorus Sources on Maize Yield, Phosphorus Uptake, and Phosphorus Use Efficiency. Agronomy Journal 109,p1039-1047
Rick T., Jones C., Engel R., Miller P., 2011. Green manure and phosphate rock effects on phosphorus availability in a northern great plains dryland organic cropping system. Organic agriculture, p 91-90
Soltangheisi A., Rodrigues M., Jordana M., Arruda M., Gasperini A., Laerci0 R., Pavinato P., 2018. Changes in soil phosphorus lability promoted by phosphate sources and cover crops. Soil and Tillage Research 179
Shomberg H., Steiner J., 1999. Nutrient Dynamics of Crop Residues Decomposing on a Fallow No-Till Soil Surface, Soil Science Society of America Journal 63:607-613.
Ulen B., 1997. Nutrient losses by surface run-off from soils with winter cover crops and spring-ploughed soils in the South of Sweden. Soil and tillage research 44, 165-177
White C., Weil R., 2010. Forage radish cover crops increase soil test phosphorus surrouding radish taproot holes. Soil Fertility and plant nutrition