La réduction des pertes d’azote a longtemps été le moteur principal de la généralisation des couverts d’interculture. Ces derniers sont en effet très efficaces et la productivité du couvert est la principale caractéristique du couvert à rechercher par exemple par le choix d’espèces adaptées ou l’anticipation de la date de semis …
ENJEUX
La lixiviation de l’azote désigne sa migration hors de portée des racines sous forme de nitrate dilué dans les eaux s’infiltrant dans la parcelle. Le phénomène est de l’ordre de 15 à 50 unités d’azote en moyenne selon les situations. Il est principalement dépendant de la quantité d’azote disponible du sol au moment où le drainage survient et à l’intensité de celui-ci. La quantité d’eau drainée sous une parcelle est d’autant plus importante que la réserve en eau du sol est faible. Tableau 1 : Données issues de Beaudouin et al 2006 - Moyennes (1991-1999) de données simulées sur le BAC de Bruyères (02)
Type de sol | Réserve utile (mm) | Drainage (mm) | Lixiviation (kg de N.-1.an-1) |
---|---|---|---|
Limon profond | 203 | 219 | 16 |
Argile limoneuse | 167 | 234 | 30 |
Limon sableux sur craie | 188 | 245 | 45 |
Sable limoneux sur sable | 158 | 263 | 50 |
ORIGINE DE L’AZOTE DISPONIBLE A LA LIXIVIATION
Etant impossible d’influencer l’intensité du drainage, l’unique solution, pour limiter les pertes, consiste à limiter la quantité d’azote disponible durant la période de drainage. Différents processus ont lieu pendant l’interculture contribuant à augmenter ou diminuer le stock d’azote disponible (Figure 1) :![Facteurs influençant la richesse du sol en azote](../pertes-d-azote/F1.png)
Figure 1: Facteurs influençant la richesse du sol en azote
- L’excédent de fertilisation
Qu’il se produise suite à une mauvaise estimation de la dose d’engrais ou suite à la réalisation d’un rendement au deçà des espérances, 40 % de l’excès de fertilisation alimente le stock d’azote du sol à la récolte du précédent. A l’inverse, un défaut de fertilisation, par la réalisation d’un rendement supérieur aux prévisions, ne réduit pas le stock d’azote du sol à la récolte par rapport à une situation fertilisée à l’optimum (Beaudouin et al., 2006). Après une céréale d’hiver, les niveaux de reliquat les plus couramment observés sont compris entre 40 et 60 kg de N par hectare (45%). Le reste se réparti entre 60 et 140 kg de N (Figure 2)
![Distribution des reliquats post-récolte (Compilation d'essais conduits en Hauts de France - AGTRT)](../2019-04-24-pertes-d-azote_files/figure-html/unnamed-chunk-3-1.png)
Figure 2: Distribution des reliquats post-récolte (Compilation d’essais conduits en Hauts de France - AGTRT)
- La minéralisation de l’humus du sol
La minéralisation de l’humus est un processus qui se produit tout au long de l’année mais dont l’intensité varie selon les conditions du milieu (température, humidité) et le contexte de la parcelle. Il détermine la vitesse de minéralisation potentielle (Clivot et al. 2017). D’après l’auteur, les facteurs prépondérants sont le stock d’azote organique (+), le taux d’argile (-), le pH (+) et le C/N du sol (optimum à 11). Cette vitesse de minéralisation potentielle est ensuite modulée par les conditions du milieu (température et humidités). Ces dernières sont particulièrement propices la fin de l’été et au début de l’automne car le sol, encore chaud, se réhumecte de manière importante.
![Exemple de minéralisation journalière (Simulation STICS)](../2019-04-24-pertes-d-azote_files/figure-html/unnamed-chunk-4-1.png)
Figure 3: Exemple de minéralisation journalière (Simulation STICS)
- L’effet direct des apports de produits organiques épandus en fin d’été ou au cours de l’automne
Une large gamme de produits organiques peuvent être épandus sur les parcelles durant l’interculture. Selon leur composition et donc leur indice de stabilité ceux-ci vont avoir une valeur plutôt amendante (accroître le stock de matière organique) ou plutôt fertilisante (apporter de l’azote à la culture suivante). A court terme, la quantité d’azote disponible issu des produits organiques est constituée de la fraction minérale de l’azote qu’il contient ainsi que celui libéré durant les premières semaines de minéralisation. La vitesse de minéralisation du produit organique augmente avec sa teneur en azote organique et l’importance de la fraction soluble et diminue ave la teneur en lignine et en cellulose (Lashermes et al. 2010). Seuls entre 16 et 32% de la fraction disponible des apports sont absorbés par la culture intermédiaire. Le reste est immobilisé par les micro-organismes du sol ou perdu par lixiviation ou volatilisation (Merbach et al. 1997). - La décomposition des résidus de culture
Après une céréale à paille, la décomposition des résidus provoque l’organisation de 20 à 25 unités d’azote lorsque celles-ci sont restituées (Beaudouin et al., 2006). En effet, pour dégrader ces résidus pauvres en azote, les bactéries présentes dans le sol vont utiliser l’azote minéral présent dans le sol. Les résidus d’autres précédents, plus riches en azote (légumineuses notamment), peuvent contribuer à enrichir le sol en azote minéral au cours de leur décomposition. - La minéralisation des résidus de la culture intermédiaire
Dès leur destruction les résidus de culture intermédiaire amorcent leur dégradation. Selon la nature des résidus enfouis (leur ratio C :N principalement), celle-ci peut conduire soit à une organisation de l’azote du sol soit à une minéralisation. A court terme, des résidus enfouis avec un ratio C/N inférieur à 20 contribuent à enrichir le sol en azote minéral dont une partie pourra être lixiviée si la destruction est intervenue bien avant la période de drainage. L’ensemble des mécanismes et des références présentées jusqu’alors ont été mis en forme dans un outil. Vous pouvez donc estimer la quantité d’azote disponible en interculture grâce à 🧰 l’outil bilan N simplifié interculture 🧰
LES CULTURES INTERMEDIAIRES : SEUL LEVIER EFFICACE
Les couverts d’interculture permettent de réduire la quantité d’azote minéral du sol durant la période de drainage (Tableau 2).
Tableau 2 : Reliquat entrée hiver moyen par modalité et par lieu (Essais maintien de couverts 2017 et 2018)
Melange | Essai 1 | Essai 2 | Essai 3 |
---|---|---|---|
Sol nu | 47 | 90 | 85 |
Moutarde blanche | 25 | 25 | 36 |
Phacélie-Vesce velue | 26 | 35 | 34 |
Avoine rude - Féverole - Trèfle incarnat - Vesce | 31 | - | 33 |
Moutarde d Abyssinie - Pois fourrager | 33 | - | 39 |
Les cultures intermédiaires constituent le levier le plus important pour réduire les pertes de N et semblent plus efficaces que la réduction de la fertilisation (Figure 4).
![Evolution des teneurs en nitrate des eaux de drainage selon les modalités de gestion de l'azote et de l'interculture (Essai de Thibie - [Constantin et al. 2010](https://www.researchgate.net/publication/222250221_Effects_of_catch_crops_no_till_and_reduced_nitrogen_fertilization_on_nitrogen_leaching_and_balance_in_three_long-term_experiments){target='_blank'})](../pertes-d-azote/F2.png)
Figure 4: Evolution des teneurs en nitrate des eaux de drainage selon les modalités de gestion de l’azote et de l’interculture (Essai de Thibie - Constantin et al. 2010)
L’étude de la bibliographie indique une réduction en moyenne de 60 % de la quantité d’azote lixivié avec des couverts de graminées et de 70 % avec des couverts de crucifères (Justes et al., 2012).
LES PISTES POUR EN MAXIMISER LES EFFETS
Le choix du couvert
- Légumineuses, Non-légumineuses ou les deux ?
Dans un objectif d’accroitre l’autonomie azotée des systèmes, il est souvent souhaitable d’introduire des légumineuses notamment en interculture. Toutefois, les légumineuses possèdent une capacité inférieure aux non-légumineuses pour réduire les pertes d’azote (de 5 à 45 % pour les légumineuses contre 60% pour les autres espèces) du fait de :- Leur croissance plus lente que les non-légumineuses
- La fixation symbiotique qui intervient même si de l’azote minéral est présent dans le sol en quantités suffisantes
- La minéralisation rapide de l’azote qu’elles contiennent.
- Leur croissance plus lente que les non-légumineuses
- L’utilisation de mélanges
Figure 5: Biomasse produite et composition botanique d’un mélange Phacélie + vesce velue dans deux essais aux conditions contrastées
![Effet de la diversité du couvert sur la rétention en azote par le couvert [(Finney et al. 2016)](https://www.researchgate.net/publication/305953199_Functional_diversity_in_cover_crop_polycultures_increases_multifunctionality_of_an_agricultural_system){target='_blank'}](../pertes-d-azote/F3.png)
Figure 6: Effet de la diversité du couvert sur la rétention en azote par le couvert (Finney et al. 2016)
Aussi les échecs de couverts sont moins fréquents lorsque ceux-ci sont diversifiés grâce à des phénomènes de compensation et les ressources du milieu sont mieux utilisées (Finney et al. 2016 - Figure 4). La figure suggère que la productivité maximale du couvert n’est pas améliorée par le nombre d’espèces présentes dans le mélange mais qu’un couvert diversifié garantit un minimum de biomasse.
- Le choix de l’espèce
Parmi les différentes espèces de cultures intermédiaires non légumineuses disponibles toutes n’ont pas la même capacité à absorber rapidement l’azote du sol. Le recours aux espèces les plus performantes sur ce critère peut se justifier dans des situations à forte disponibilité en azote et à période d’interculture courte.
![D'après Tribouillois (2014) Vitesse d'acquisition potentielle de l'azote par espèce en conditions non limitantes](../pertes-d-azote/T2.png)
Figure 7: D’après Tribouillois (2014) Vitesse d’acquisition potentielle de l’azote par espèce en conditions non limitantes
Pour certains auteurs (Thorup-Kristensen et aL., 2003), ces différences de capacité d’absorption sont expliquées par des différences de morphologie au niveau racinaire. Ainsi la capacité de piégeage de l’azote d’une culture intermédiaire est fortement liée à sa profondeur maximale d’enracinement et à sa vitesse d’enracinement. Tandis qu’elle ne dépend pas de la densité racinaire. Cela peut s’expliquer par la forte mobilité du nitrate dans la solution du sol. Il n’est pas nécessaire à la plante de mettre en place un réseau racinaire très dense pour l’absorber efficacement.
Tableau 3 : Profondeur d’enracinement à 1000°C.j de différentes espèces de couverts |Espèce|Profondeur d’enracinement à 1000°C.j (m)| |:—-:|:———————————-:| |Radis fourrager| 2| |Phacélie| 1.7| |Seigle| 1.2| |Avoine| 1| |RGI|1.1| |Vesce |0.9|
Le choix de l’itinéraire technique
- La date d’implantation
![Effet de la date de levée et du type de couvert sur les pertes d'azote](../2019-04-24-pertes-d-azote_files/figure-html/unnamed-chunk-10-1.png)
Figure 8: Effet de la date de levée et du type de couvert sur les pertes d’azote
La date d’implantation de la culture intermédiaire joue un rôle primordial dans sa capacité à capter l’azote du sol. La lixiviation augmente avec le report de la date de semis. Toutefois les espèces ayant une vitesse d’absorption de l’azote importante (moutarde) sont moins pénalisées par des implantations tardives.
- La date de destruction
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![Effet de la date de destruction et du type de couvert sur les pertes d'azote](../2019-04-24-pertes-d-azote_files/figure-html/unnamed-chunk-11-1.png)
Figure 9: Effet de la date de destruction et du type de couvert sur les pertes d’azote
Retarder la date de destruction du couvert permet de maximiser la durée de prélèvement du couvert mais aussi de retarder sa minéralisation. Les mélanges comprenant des légumineuses (avec donc une minéralisation rapide) sont particulièrement sensibles à ce levier.
- La technique d’implantation
![Azote absorbé par un couvert par espèce selon la technique d'implantation](../pertes-d-azote/F4.png)
Figure 10: Azote absorbé par un couvert par espèce selon la technique d’implantation
En choisissant la technique d’implantation conduisant à maximiser la biomasse produite dans un contexte donné, on tend à maximiser les besoins en azote du couvert et ses prélèvements et donc à limiter la quantité d’azote disponible à la lixiviation. Des essais ont été conduits au cours du projet pour identifier la conduite des couverts permettant de produire le maximum de biomasse, les résultats sont disponibles sous la forme d’un dossier technique :
Réussite des couverts d’interculture : sous quelles conditions ?
A vos claviers !
TRAVAUX CITES
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Clivot H, Mary B., Vale M., Justes E., 2017. Quantifying in situ modeling net nitrogen mineralization from soil organic matter in arable cropping systems. Soil Biology & Biochemistry, 44-59.
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