Effet des couverts sur les pertes et la disponibilité en Soufre

Pertes et disponibilité du soufre : De quoi parle-t-on ?

Au cours des dernières décénnies, le soufre est devenu un élément pouvant faire défaut aux cultures. En effet du fait des évolutions du secteur industriel, les dépositions atmosphériques par les précipitations ont fortement décru du fait d’une concentration plus faible en sulfate ( Engardt et al. 2017 ). Actuellement les apports de SO3 par dépositions atmosphériques sont estimés à 14 kg par ha et par an

Evolution de la teneur relative en sulfate dans des précipitations

Figure 1: Evolution de la teneur relative en sulfate dans des précipitations

D’autre part les apports de soufre liés aux pratiques agricoles ont également diminué : baisse de la teneur en soufre dans les engrais complets et dans les produits phytosanitaires, diminution des apports de produits organiques ( Scherer 2001 ).

D’après Makher et al 2009 , le soufre est présent dans le sol sous plusieurs formes : organique liée au carbone, (acides aminés, acides sulfoniques …), non liée au carbone (sulfamates) et inorganique. La forme inorganique ne représente que 5 à 10% du soufre présent de le sol majoritairement sous forme de sulfates ( Schnug 1998 ). Du soufre inorganique (sulfate assimilable par les plantes) est produit lors de la minéralisation de la matière organique à partir du soufre organique. Dans la matière organique, le soufre est bien moins présent que le C ou le N. En effet on évoque généralement le ratio C/N/S suivant : 100/10/1.

Comme les nitrates, les sulfates sont chargés négativement et sont donc peu liés aux éléments du sol contrairement au phosphore, au potassium ou au calcium. La rétention du soufre par le sol dépend de la nature de ses composants, du pH ou de la concentration des autres ions dans le sol. Toutefois au dessus d’un pH de 6, tout le soufre inorganique est en solution et donc lixiviable ( Eriksen et Thorup-Kristensen 2002 ) .

Les pertes de S par lixiviation sont très variables : 1 à plus de 100 kg de S par ha et an. Elles dépendent du type de sol et de la disponibilité en sulfate du sol (et de la fertilisation) d’après Makher et al 2009.
En Bio, Eriksen et Askegaard 2000 estiment les pertes à 20 kg de S par ha et par an soit 60 % des entrées.

Effet des couverts sur le cycle du soufre

Effet sur les pertes

Dans des essais conduits au Danemark, Eriksen et Thorup-Kristensen (2002) montrent que toutes les espèces utilisées en culture intermédiaires sont efficaces pour réduire le stock de sulfate du sol en entrée hiver. En effet selon les espèces, les auteurs constatent une réduction entre 40 et 60 kg de S sur les 110 mesurés sous le sol nu. Ils ont pu par ailleurs comparer l’absorption du soufre du ray grass d’Italie, du colza et du radis fourrager et concluent à une meilleure efficacité des brassicacées. Le radis fourrager ayant absorbé 4,5 fois plus de soufre que le ray grass.
Les quantités de S absorbé par la plante sont comprises entre 5 et 30 unités selon les espèces et la biomasse produite par la plante ( Eriksen et Thorup-Kristensen (2002), Eriksen et al. (2004) , Couedel et al. 2018 ). De plus, d’après Couedel et al. (2018), la biomasse racinaire n’est pas à négliger puisqu’entre 8 et 45% du S qui compose la plante est présent dans la partie racinaire de la plante (en moyenne 25% pour les brassicacées et 16% pour les légumineuses).

Effet sur la disponibilité

Comme pour les autres éléments minéraux, le soufre absorbé par la plante pourra être restitué lors de sa décomposition. Lors de sa dégradation, une partie du carbone qui compose la plante pourra accroître le stock de carbone organique du sol : il s’agit de l’humification. Pour en savoir plus, consultez la page dédiée à ce service : Améliorer son taux de matière organique grâce aux couverts d’interculture.
Le phénomène remobilise du soufre provenant du milieu ou de la décomposition de la plante pour constituer la matière organique produite. Ainsi, l’humification du couvert peut induire une minéralisation nette ou une immobilisation du soufre selon la richesse en soufre des résidus du couvert. Les résidus ayant un ratio C:S supérieur à 400 induisent une immobilisation du soufre tandis que ceux présentant un ratio C:S inférieur à 200 fournissent du soufre de manière rapide ( Eriksen et Thorup-Kristensen 2002 ).

Relation en C:S et minéralisation

Figure 2: Relation en C:S et minéralisation

La teneur en S des couverts (et donc le C:S) varie entre les espèces mais surtout entre les familles. Ainsi les légumineuses ont des teneurs en soufre très faibles (entre 0,13 et 0,25 %) tandis que les brassicacées ont les teneurs les plus élevées (0,79 et 1,03%). Ainsi, toujours d’après Eriksen et al. (2004) , les espèces de cette famille ont un haut potentiel de restitution (entre 57% et 85% du S acquis) contre entre moyenne 46% pour les légumineuses.

Eriksen et Thorup-Kristensen (2002) observent une meilleure nutrition soufrée de l’orge de printemps après un couvert de brassicacées (Colza, Radis). En effet les concentrations en soufre de la plante à épiaison étaient de 1,7 g/kg après colza ou radis fourrager contre 1,3 g/kg en sol nu ou après ray grass d’Italie.

Des pistes pour maximiser les services rendus

Maximiser la biomasse produite pour maximiser l’absorption

Garantir un développement maximal du couvert permet d’augmenter sa capacité d’absorption du soufre. En effet, les données de Eriksen et Thorup-Kristensen 2002 suggèrent que le radis doit en partie sa capacité d’absorption supérieure au RGI (4,5 x) à une biomasse produite supérieure.

Selon les espèces considérées, la proportion de S contenu dans les racines peut être importante. Ainsi, d’après Couedel et al. (2018) , elle peut varier de 6 % à 45 % du S total. Les espèces avec un système racinaire fasciculé sont les plus concernées.

Choisir les espèces les plus performantes

Pour garantir un piégeage efficace du S et sa minéralisation rapide après que le couvert soit détruit, il est nécessaire de choisir des espèces avec une teneur en S elevée. Les brassicacées ont démontré leur intérêt vis-à-vis des services liés au soufre (piégeage ET restitution). En effet, en plus d’un potentiel de croissance important en interculture, elles disposent de teneurs en soufre élevées dans leurs tissus ce qui permet une absorption importante du soufre et un C:S faible permettant une mise à disposition rapide après destruction ( Couedel et al. (2018) ).

Combiner les espèces pour recycler du soufre et de l’azote

Pour ce qui est du soufre, les brassicacées ont démontré qu’ils constituent les meilleures espèces pour fournir des services de piégeage ( Eriksen et al. (2004), Couedel et al. (2018) ) et de disponibilité à la culture suivante. Toutefois ces espèces n’ont pas les mêmes capacités vis-à-vis de l’azote. En effet, bien que les brassicacées soient très efficaces pour limiter les pertes d’azotes (Pour en savoir plus : Limiter les pertes d’azote grâce à l’implantation de couverts d’interculture) elles ne sont pas les plus performantes pour ce qui est de la disponibilité et peuvent même dans certains cas conduire à une immobilisation de l’azote.

A l’inverse, les légumineuses, efficaces en ce qui concerne la fourniture d’azote à la culture suivante, sont peu performantes concernant les services liés au soufre du fait de faibles teneurs en soufre dans la plante induisant une faible mobilisation du soufre et un C:S élevé (immobilisation du soufre).

 Efficacité des légumineuses et des brassicacées vis à vis de l'azote et du soufre

Figure 3: Efficacité des légumineuses et des brassicacées vis à vis de l’azote et du soufre

Les couverts bi-spécifiques, légumineuses - non-légumineuses, ont montré leur intérêt sur l’azote pour arriver à produire simultanément un service de piégeage des nitrates mais aussi de restitution d’azote à la culture suivante ( Tribouillois et al. 2016, Couëdel et al. 2018 ). Ainsi d’après Couedel et al. (2018) , utiliser les brassicées comme non-légumineuses du mélange permet d’améliorer le piégeage et la restitution du soufre par le couvert. Les quantités de soufre absorbé par le mélange sont équivalentes à celles d’un couvert de brassicacées en pure est largement supérieures à celles de légumineuses. Néanmoins le ratio C:S du mélange est intermédiaire entre les deux familles induisant donc une minéralisation intermédiaire.

En définitive d’après Couedel et al. (2018) , les mélanges bi-spécifiques évalués permettent de rendre l’ensemble des services liés à l’azote et au soufre :

Valeurs exprimées en base 100 pour de la meilleure moyenne

Service Moy. Brass. solo Moy. Leg solo Moy. Melange
Piègeage N 100% 66% 98%
Dispo N 18% 100% 63%
Piegeage S 100% 30% 99%
Dispo N 10% 23% 85%

A vos claviers !

TRAVAUX CITES

Couedel A., Alletto L., Justes E., 2018. Crucifer-legume cover crop mixtures provide effective sulphate catch crop and sulphur green manure services. Plant and Soil
Couëdel A., Tribouillois H., Alletto L., Justes E., 2018. Cover crop crucifer-legume mixtures provide effective nitrate catch crop andnitrogen green manure ecosystem services. Agriculture, Ecosystems and Environment 254. p50-59
Engardt M., Simpson D., Schwikowski M., Granat L., 2017. Deposition of sulphur and nitrogen in Europe 1900–2050. Model calculations and comparison to historical observations. Tellus B: Chemical and Physical Meteorology
Eriksen J., Askegaard M., 2000. Sulphate leaching in an organic crop rotation on sandy soil in Denmark. Agriculture, Ecosystems and Environment 78. p107-114
Eriksen J., Thorup-Kristensen K., 2002. The effet of catch crops on sulfate leaching and availability of S in the succeeding crop on sandy loam soil in Denmark. Agriculture, Ecosystems and Environment 90. p247-254
Eriksen J., Thorup-Kristensen K., Askegaard M., 2004. Plant availability of catch crio sulfur following spring incorporation. Journal of Plant Nutrition Soil Science 167. p609-615
Makher Hamid Niknahad Ghar, 2008.Sulphur mineralization during decomposition of organic matters in soil and its relationships with C and N dynamics. Sciences of the Universe. AgroParis Tech, 2008.
Scherer H., 2001. Sulphur in crop production - invited paper. European Journal of Agronomy 14. p81-111
Scnhug E., 1998. Sulfur in agrosystems. Kluwer Academic Publishers
Tribouillois H., Cohan J-P., Justes E., 2016. Cover crop mixtures including legume produce ecosystem services of nitrate capture and green manuring: assessment combining experimentation and modelling. Plant and Soil. p347-364